Alors que les infractions liées au trafic de drogue augmentent en Suisse, avec des implications quotidiennes pour les habitants des quartiers touchés, Mise au Point a passé plusieurs jours dans la cité « Aldrin » à Sierre, où la police a récemment démantelé une importante organisation de dealers de stupéfiants.
En arrivant à Sierre par l’ouest, aux portes de la ville, deux grandes tours nommées « Aldrin » se dressent en hommage à l’astronaute américain « Edwin Buzz Aldrin », qui posait le pied sur la lune au moment de leur construction.
Aujourd’hui, ces bâtiments sont associés à une image moins prestigieuse. Au début du mois de février, la cité a fait les gros titres des journaux, car elle a hébergé pendant trois ans un réseau de trafic de drogue sans précédent dans le canton.
Fin 2023, après plusieurs mois d’enquête, ce réseau a été démantelé par la police, avec des saisies records, dont une demi-tonne de cannabis et quelques kilos de cocaïne, pour un butin estimé à quatre millions de francs. Une trentaine de jeunes ont été impliqués, dont un tiers de mineurs, le plus jeune ayant seulement treize ans.
Le modèle des banlieues françaises
Dimanche dans l’émission de Mise au Point, Pierre-Antoine Lengen, chef de la police judiciaire valaisanne, explique que le réseau de la cité « Aldrin » avait une structure proche de celle des trafiquants dans les banlieues françaises avec ses cas de violences et une hiérarchie bien établie: « Il y avait des dirigeants, des ‘nourrices’ pour stocker les stupéfiants et les mettre à disposition des revendeurs, des guetteurs et des ‘correcteurs’ censés faire usage de la violence si nécessaire. »
Il y avait des dirigeants, des ‘nourrices’ […], des guetteurs et des ‘correcteurs’ censés faire usage de la violence si nécessaire
Il note que ce type de grands immeubles facilitent ces activités: « Ce n’est pas la cité en elle-même qui était plus criminogène qu’un autre quartier, mais c’est simplement qu’elle avait un accès facile au réseau routier environnant. Il était donc relativement simple et discret de pouvoir écouler la marchandise aux différents clients qui s’y rendaient. »
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Les conséquences d’une absence de perspectives
L’équipe de Mise au Point a rencontré un homme qui a grandi dans ce quartier et côtoyé plusieurs des jeunes impliqués. De manière anonyme, il a tenu à donner sa version des faits, car selon lui, il ne s’agit pas d’une organisation hiérarchisée: « Nous ne pouvons pas vraiment appeler cela un réseau, mais plutôt un groupe de jeunes qui ont essayé, d’une mauvaise manière, de gagner plus d’argent que les autres. »
L’ennui peut pousser les jeunes à avoir des idées dangereuses et des comportements stupides
Il estime que la police a exagéré la situation en parlant d’une cité à la française, dramatisant les événements pour « stigmatiser les habitants et le lieu ». Pour lui, le véritable problème réside dans le manque de perspectives et la détresse d’une partie des habitants de la cité. Il souligne que « l’ennui peut pousser les jeunes à avoir des idées dangereuses et des comportements stupides ».
Et d’ajouter qu’il est nécessaire de soutenir ces jeunes pour qu’ils aient « plus de vacances, plus d’opportunités, plus de facilité à apprendre la langue. Plus de choses aussi pour les parents qui ont du mal à s’intégrer, à apprendre la langue, plus de cadre pour insérer les gens dans la société. Sinon cela va créer des carences chez tout le monde ».
D’un projet ambitieux à l’incivilité
A l’origine, la cité « Aldrin » était un projet ambitieux des années 70, visant à offrir des logements abordables avec le slogan « des appartements lunaires à prix terriens ». Construite durant les trente glorieuses, elle compte 260 appartements pour environ un demi-millier de locataires.
Cependant, cinquante ans plus tard, le quartier montre des signes de vieillissement. Une des deux tours n’a jamais été rénovée, avec une façade décrépite et des stigmates de négligence visibles dans les étages.
Jean-Daniel, qui y vit depuis quatre ans, y voit un cercle vicieux, car le manque d’entretien encourage les déprédations et les incivilités. Il décrit un environnement où des squatteurs installent des canapés et des matelas dans les escaliers, et faute de toilettes, font leurs besoins dans les escaliers.
Les racines de la vulnérabilité du quartier
Au-delà de l’insécurité, c’est donc essentiellement un sentiment d’abandon qui règne dans ce quartier, le plus dense de la ville. En 2022, une étude démographique menée par la HES Valais a révélé que 24% des jeunes Sierrois de moins de 20 ans y vivent.
De plus, c’est une zone d’habitation multiculturelle où 63% des habitants et habitantes possèdent un titre de séjour, principalement des permis B et C. L’étude souligne que cette combinaison de forte densité de jeunes et de population multiculturelle, associée à une concentration de loyers bas, sont un terreau propice à la vulnérabilité et à la précarité.
Action et réponse des autorités
Dans le quartier, il y a très peu d’aménagements publics, cafés et autres lieux de rencontre permettant d’améliorer la cohésion sociale. Face à ces critiques qualifiant le quartier de ghetto délaissé, Pierre Berthod, président de la commune de Sierre, admet que les collectivités publiques ont un rôle à jouer, mais souligne les limites de leur intervention: « Nous avons un travail à faire, mais nous ne pouvons pas être partout 24 heures sur 24. »
Nous avons un travail à faire, mais nous ne pouvons pas être partout 24 heures sur 24
L’élu souligne également les efforts des autorités en vue d’améliorer la qualité de vie dans le quartier. Il met en avant un aménagement public réalisé par ses services, offrant aux habitants un espace de rencontres. Cependant, il reconnaît la difficulté de multiplier ce type d’infrastructures en raison du manque de terrains disponibles, la plupart étant privés.
Sujet TV: Flore Amos
Adaptation web: Miroslav Mares
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