Livre: Comment vivre dans «La Suisse d’Arbon à Zoug»?


Comment vivre dans «La Suisse d’Arbon à Zoug»?

A Arbon, au bord du lac de Constance. Une ville presque inconnue en Suisse romande.
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«Ce livre porte sur les villes en Suisse, mais ignore poliment Zurich, Genève, Bâle, Lausanne ou Berne.» Il n’y a aucune provocation à cela. La chose émane de l’EPFL, où l’on se veut en général pondéré. Il n’y aura du reste au long des quelque 272 pages aucun dénigrement, ni même de jugement. Les intervenants de cet ouvrage collectif émettront-ils même des idées personnelles? En principe oui, puisque ses directeurs Maxime Felder, Renate Albrecher, Vincent Kaufmann et Yves Pedrazzini ont demandé aux auteurs contactés d’adopter chacun un point de vue particulier. Il s’agissait pour eux de parler de la «ville moyenne» dans laquelle ils vivent. Autrement dit d’une agglomération helvétique comprenant entre 10 000 et 60 000 âmes. Le choix apparaissait large. Une bonne centaine d’endroits pouvaient se voir choisis, alors qu’il n’y avait que douze places dans la publication. Comme le rappelle dans son texte Pierre Dessemontet, centré sur Yverdon-les-Bains, «la Suisse est un pays très dense.» La population y augmente partout à un rythme soutenu. D’où l’absence chez nous de vastes zones allant se dépeuplant. Nous ne connaissons ni «diagonale du vide» comme la France, ni d’«archipel» ainsi que l’Italie voisine.

Citées peu étudiées

Pourquoi s’intéresser aux «villes moyennes», le mot conférant une certaine idée de médiocrité? Parce que les scientifiques ont tendance à les négliger. La sociologie vise en temps ordinaires les métropoles, pour ne pas dire ces mégapoles dont la Suisse demeure (heureusement?) dépourvue. A l’heure des études internationales (que peu de gens lisent), mieux vaut prendre des points de référence connus en dehors des frontières. C’est le cas de la Zurich financière, de la Genève internationale ou éventuellement de la Bâle intellectuelle. Mais qui aurait l’idée de gloser sur Aarau, Locarno, Orbe ou Délémont? Ce sont pourtant des cités au sens où l’entend la bande des quatre aux commandes. Pour elle, la ville doit exister par elle-même, et non s’adosser à une autre comme Bümplitz par rapport à Berne ou Carouge aux portes de Genève. Il ne doit pas s’agir d’un dortoir géant, du genre Gland entre Genève et Lausanne. La localité doit disposer de tous les services nécessaires. Certains d’entre eux peuvent se perdre. Le Locle, qui peine à conserver ses 10 000 habitants (une sorte de plancher), ne possède plus de gare au sens classique du terme. Le bâtiment a été fermé il y a des années.

Vincent Kaufmann, l’un des quatre coordinateurs du livre.

Chaque auteur aborde donc sa ville par un biais qui lui est propre. Chiasso vit dans la nostalgie d’une vraie frontière permettant une authentique contrebande. Coire sert d’entonnoir à plus d’une centaine de vallées. Neuchâtel se limite ici au quartier nouveau du Crêt-Taconnet. Sierre se voit présentée comme la victime d’une automobile désormais diabolisée. Thoune doit se trouver un destin sans militaires. Zoug raconte le passage d’une petite agglomération pauvre à un paradis pour riches où l’on roule en Ferrari. Ces cités ont cependant un aspect commun. Il s’agit de fondations historiques à taille humaine. S’y adapter devient plus facile, même si Claire Fischer Torricelli décrit sa pénible intégration à Bellinzone, dont elle n’a jamais réussi à apprendre le dialecte alors que des Albanais émigrés y parviennent. Dans un entretien accordé au quotidien «Le Temps», Vincent Kaufmann soulignait le fait que les nouveaux venus trouvaient plus facilement leur place à Payerne ou à Baden qu’à Zurich. D’où leur peur que ces havres se développent trop vite. La récente explosion urbaine de Bulle (la bien nommée en l’occurrence!), dans le canton de Fribourg, peut donner froid dans le dos. Un «boom town» à l’américaine.

L’importance des cafés

Qu’est-ce qui faciliterait cette assimilation? Un peu tout finalement, du club de football local aux cafés sur une place. Vincent Kaufmann raconte avoir passé son enfance entre Le Lignon genevois (dont des architectes dévoyés veulent aujourd’hui faire une merveille patrimoniale) et Estavayer. Au Lignon, qui logeait des milliers de locataires dans des barres d’immeubles tout gris, n’existait qu’une brasserie. Enserré dans son parcellaire médiéval, Estavayer débordait en revanche de bistrots. Il semblait au coauteur du «Préambule réflexif» que c’était le bourg fribourgeois la vraie ville. Celle en tout cas où un individu ou une famille pouvait se fondre sans se perdre. Compte-t-on vraiment dans un lieu où l’on n’est plus qu’un numéro? Est-on vraiment l’habitant d’une grande ville quand on se retrouve relégué à sa périphérie, du genre Bernex ou maintenant Veyrier à Genève?

Même mal protégée sur le plan patrimonial, Zoug reste une jolie ville.

Le livre, dont je vous ai ici fortement personnalisé les conclusions, aurait pu devenir très chouette. Il eut pour cela fallu que les auteurs se lâchent un peu. Qu’ils pensent pour une fois à de vrais lecteurs, et non pas à leurs chers collègues. Vous savez hélas comment sont les universitaires, surtout dans les sciences dites «humaines». Il faut qu’ils gardent leur objectivité, qu’ils donnent des chiffres et qu’ils citent les bons auteurs. Ce sont des handicapés mentaux de luxe. Si certains des contributeurs ont accepté de jouer le jeu, d’autres se sont crispés sur leur méthodologie sociologique. Leur surmoi les a étouffés. Il en sort un livre inégal sur un vrai sujet qui mériterait de se voir une fois traité à fond. Pourquoi en dépit de la logique actuelle, les grandes villes suisses prennent-elles un aspect repoussant, alors que les plus petites attirent?

Aucune province

On pourrait cependant tirer des textes des éléments de réponses. Nous sommes une nation lilliputienne. Les villes moyennes ne sont donc jamais bien loin des grandes. Et ce avec un bon réseau de route et des trains qui (en dépit des protestations permanentes) roulent plutôt bien. Aucune vraie capitale chez nous. Il n’existe du coup pas en Suisse de province, avec ce que cela suppose de déclassement social. Les petites agglomérations donnent en plus une paradoxale impression d’espace. Vincent Kaufmann le soulignait bien dan «Le Temps». On a moins qu’à Zurich et surtout à Genève l’impression que le moindre centimètre carré doit se voir utilisé pour loger des gens, encore des gens et toujours des gens. Quitte à tout bousiller au passage en coupant un maximum d’arbres. La fourmilière! Sur ce, je vous donne dans un autre article mon top 10 des villes les plus séduisantes de Suisse. Genève et Zurich n’en font comme par hasard pas partie…

Pratique

«La Suisse de A(rbon) à Z(oug), ouvrage collectif, aux Editions EPFL Press, 271 pages.

La Chaux-de-Fonds, choisie pour la convivialité de sa Plage des Six Pompes.
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