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Avant que nos langues nationales ne s’étendent sur le territoire de l’actuelle Suisse, les populations locales s’exprimèrent d’abord en gaulois, puis en latin. Certaines inscriptions offrent un aperçu de la culture linguistique d’il y a près de 1800 ans.
19.12.2023, 08:06
Karin Stüber / musée national suisse
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Le tournant du premier millénaire de notre ère fut une période turbulente dans la région correspondant au Plateau suisse actuel. Le général romain Gaius Iulius Caesar avait déjà, vers 45-44 av. J.-C., fondé quelques colonies isolées dans cette zone, notamment Noviodunum (ville actuelle de Nyon) au bord du lac Léman, ainsi que Raurica (plus tard Augusta Raurica, actuelle commune d’Augst) sur la rive sud du Rhin.
Mais ce fut Auguste, le premier empereur romain, qui en 15 av. J.-C. fit entrer des troupes depuis Nyon ainsi que par les Alpes, faisant du territoire entier de la Suisse actuelle, donc aussi du Plateau, une province romaine en l’espace de deux ans seulement.
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Ces régions avaient jusque-là été peuplées par des tribus gauloises, notamment les Helvètes et les Rauraques. La conquête romaine n’eut guère d’impact sur la composition ethnique de la population: la classe supérieure correspondait toujours à une élite autochtone. Toutefois, ladite conquête s’accompagna de l’arrivée de soldats, d’anciens combattants ainsi que de commerçants romains dans la région, tandis que l’administration amena son lot de fonctionnaires impériaux.
Les Romains apportèrent de nouvelles institutions, lois, coutumes religieuses et mœurs, ainsi que des formes d’art, d’architecture et de technologie jusque-là inconnues. Usages locaux et romains se mêlèrent, donnant naissance à la culture gallo-romaine.
Par l’influence du commerce, mais surtout de l’administration et de la religion, la langue de l’Empire qu’était le latin s’installa, prenant peu à peu de l’ampleur au détriment du gaulois parlé jusqu’alors. La classe supérieure gauloise s’appropria en un rien de temps ce nouveau parler, donnant rapidement lieu à l’exclusion du gaulois de la vie publique. L’ancienne langue se vit supplantée par le latin, associé à davantage de prestige. Le gaulois fut néanmoins encore longtemps employé dans la sphère privée.
La langue gauloise nous est surtout parvenue au travers de nombreuses inscriptions découvertes en France. Les Gaulois, qui n’avaient pas développé leur propre système d’écriture, eurent d’abord recours à l’alphabet grec, puis à l’alphabet latin. Même si les découvertes d’inscriptions dans le Plateau suisse sont rares, une épée portant le nom gaulois Korisios écrit en alphabet grec a été retrouvée à Port, près de Bienne. Et toujours dans cet alphabet, mais en langue gauloise, une inscription en l’honneur du dieu forgeron gaulois Gobannos a été découverte sur une tablette de zinc, sur la presqu’île d’Enge, à Berne.
Inscription celtique (Korisios) sur une épée trouvée dans un ancien canal de la Thièle, à Port, datée d’env. 100 av. J.-C.Image: Musée national suisse
Les inscriptions plus récentes emploient l’alphabet latin. En témoigne une villa romaine à Meikirch, près de Berne, dont les peintures murales présentent cinq inscriptions en partie difficiles à déchiffrer. Celles-ci, outre le latin et le grec, contiennent des éléments de la langue gauloise.
On notera en particulier la forme mapobi, signifiant «avec les fils», qui comporte non seulement le mot gaulois pour «fils», mais aussi une déclinaison de cas en -bi typiquement gauloise, que l’on ne trouve pas en latin. Un fragment de graffito déniché sur une peinture murale de la colonie romaine Augusta Raurica démontre que le gaulois était encore parlé jusqu’au IIIe siècle apr. J.-C.: il comporte en effet le mot gaulois ponc, qui signifie «quand».
Le latin commença progressivement à être utilisé à l’écrit, notamment dans les textes officiels. Des inscriptions honorant une déité, par exemple celle tracée à l’intention de la déesse-ourse gauloise Artio découverte à Muri bei Bern, ou celles de Bâle et de Soleure, dédiées à la déesse cavalière Epona, issue de cette même mythologie, furent ainsi rédigées dans cette langue.
De même, les épitaphes, dont la présence sur le Plateau suisse n’est attestée qu’à partir de l’époque romaine, y sont exclusivement gravées en latin, même si les défunts ou leurs proches portaient parfois encore des noms gaulois comme Caratilius, Visurix, Prittusa, Ioincatia ou Matugenia. Un nom d’origine gauloise ne prouve pas à lui seul que ceux qui le portaient parlaient encore la langue: en effet, les traditions patronymiques peuvent perdurer après une transition linguistique.
Une courte inscription découverte sur une fusaïole, à Nyon, constitue une belle preuve du bilinguisme du Plateau suisse au IIIe siècle apr. J.-C., indiquant que le gaulois et le latin y coexistaient encore. Les fusaïoles, généralement fabriquées en terre cuite, servaient à alourdir les fuseaux à main. De tels objets marqués d’inscriptions ont surtout été retrouvés en France, où les textes s’adressent généralement à de jeunes filles et contiennent parfois des allusions érotiques. L’inscription de Nyon est composée d’un mot latin et d’un mot gaulois: ave vimpi. Ave n’est autre que la fameuse salutation latine, tandis que vimpi est un mot gaulois signifiant «jolie fille». On pourrait traduire l’ensemble par «Salut à toi, beauté!».
Le gaulois finit par s’éteindre complètement, sans que nous sachions exactement par qui, pendant combien de temps et dans quelle mesure il fut parlé en parallèle du latin. Ce dernier s’est néanmoins vraisemblablement imposé sur le Plateau suisse au Vᵉ siècle apr. J.-C. au plus tard.
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