Trail : Le niveau des contrôles antidopage est-il « un échec total » dans la discipline

Quelqu’un maîtrise-t-il le palmarès 2022 de Sierre-Zinal ? Attention, même les plus grands aficionados de cette course de trail mythique en Suisse (31 km et 2.200 m de dénivelé positif), qui va fêter sa 50e édition samedi, pourraient se faire piéger. Tout simplement car il a fallu attendre plusieurs mois avant que l’inédit doublé kényan Mark Kangogo-Esther Chesang soit déclassé en raison de contrôles antidopage positifs.

A l’image d’Andy Schleck sur le Tour de France 2010, après le déclassement pour dopage d’Alberto Contador, l’Espagnol Andreu Blanes et la Suissesse Maude Mathys (tous deux 2es) ont donc été déclarés vainqueurs a posteriori. Si Mark Kangogo avait été contrôlé positif le 13 août 2022, juste après la course, à la norandrostérone (un stéroïde anabolisant) et à l’acétonide de triamcinolone (un glucocorticoïde), Esther Chesang était de son côté négative ce jour-là.

Mais la traileuse de 28 ans avait été suspendue provisoirement en mai 2022 après un contrôle positif à la triamcinolone au Kenya, ce que l’agence antidopage kényane n’a indiqué à l’Unité d’intégrité de l’athlétisme (AIU)… qu’en janvier 2023. Elle n’aurait donc pas dû pouvoir concourir à Sierre-Zinal la saison passée, ce qui a rallongé sa suspension de trois à quatre ans. Cet imbroglio, auquel le trail-running n’avait encore jamais été confronté dans sa jeune histoire pour des vainqueurs d’une course majeure, soulève une question : le dopage est-il devenu un fléau dans cette discipline ?

« Le nombre des contrôles est famélique »

« Cet épisode n’a pas été une immense surprise, indique Valentin Genoud, directeur adjoint de Sierre-Zinal. Nous ne sommes pas naïfs : il y a des enjeux de financement et de médiatisation de plus en plus grands autour du trail, donc les risques de tricherie sont bien présents. On a montré au monde entier que la tolérance zéro fonctionnait donc on sort grandi de cette affaire. On veut garantir une course propre en luttant contre la tricherie. » Les organisateurs de Sierre-Zinal n’hésitent ainsi pas à « mandater » l’agence Swiss Sport Integrity pour qu’elle effectue une dizaine de contrôles sur chaque édition, à commencer par les podiums masculin et féminin.

Comme son compatriote Mark Kangogo, Esther Chasang s'est vu retirer son sacre 2022 à Sierre-Zinal.
Comme son compatriote Mark Kangogo, Esther Chasang s’est vu retirer son sacre 2022 à Sierre-Zinal. – Marco Gulberti

La démarche a un coût conséquent, à hauteur de 850 euros par test, même si une partie est prise en charge par le circuit de la Coupe du monde. De même, Valentin Genoud nous apprend que depuis le déclassement de Kangogo et Chesang, « le règlement a été durci au sujet de la politique antidopage afin d’engager juridiquement et financièrement les athlètes mais aussi leur manager ». Toutes les courses ne font pas preuve d’une telle vigilance concernant le dopage, à en croire Baptiste Chassagne, 29 ans, champion de France en titre de trail longue distance.

Le nombre des contrôles antidopage, qui sont tous urinaires, est famélique. Ils sont seulement aléatoires pour les trois premiers de certaines grosses courses. Très peu de traileurs sont suspendus mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de dopage, juste qu’il n’y a pas de contrôles ou presque. On a parfois des coureurs qui claquent un truc énorme, puis on n’entend plus parler d’eux derrière, ça interpelle. Je n’ai pas eu le moindre contrôle après avoir fini l’an passé 4e sur les ultras de la Transgrancanaria et du Lavaredo, et 3e de la SaintéLyon. C’est comme si je bouclais des « courses saucissons ». »

« Nous ne sommes pas assez respectés par les instances »

Même l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (171 km et 10.000 m de D +), la plus prestigieuse course d’ultra au monde, avec entre 1.000 et 10.000 euros en jeu pour le Top 10 des trois épreuves principales (10.000 participants au total), n’a pas contrôlé le moindre traileur l’an passé.

« C’était vraiment dérangeant de n’avoir eu aucun contrôle ce jour-là, regrette l’Américain Jim Walmsley, 4e de l’UTMB en 2022 et encore parmi les favoris cet été. Etre testé à la fin d’une telle course, c’est le minimum. Ça montre que le niveau des contrôles antidopage est un échec total dans notre sport, tant ils sont quasiment inexistants. Nous ne sommes pas assez respectés par les instances, vu que nous ne sommes pas une discipline olympique. C’est un chemin difficile pour rendre notre sport meilleur. »

Ce couac sur l’UTMB 2022 s’explique par le manque d’institutions spécialisées et habilitées en France. L’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) est la seule autorité ayant le droit d’effectuer des contrôles qu’elle prend économiquement en charge. « Ceux-ci doivent tous rester inopinés, donc notre présence n’a pas à être systématique sur tel ou tel évènement de sport », nous justifie-t-on du côté de l’AFLD. Sur les 10.000 contrôles effectués par les 130 préleveurs de l’agence en 2022, 1.954 ont concerné le rugby professionnel, 1.415 le football, 1.023 l’athlétisme, et seulement 100 le trail.

« Comme si le trail était resté un sport mineur »

En charge du management des athlètes élite de l’UTMB, Marie Sammons annonce en vue de l’édition à venir dans trois semaines à Chamonix que : « pour éviter qu’une situation similaire à 2022 puisse se reproduire, l’UTMB Group se donne les moyens d’assurer que des tests seront effectués sur les finales des courses OCC, CCC et UTMB en complément de tests que l’AFLD pourrait également effectuer ». Au contraire de l’UTMB, Ironman est actuellement la seule organisation privée de sport outdoor à être devenue signataire du Code mondial antidopage de l’Agence mondiale antidopage (AMA). L’organisateur des plus longs triathlons au monde peut de ce fait commander des tests à sa guise sur chacun de ses événements.

Mais pourquoi est-ce encore un tel casse-tête, même pour les courses de trail les plus prestigieuses ? Journaliste à Spe15, site spécialité dans le dopage, et créatrice du Festival des Templiers autour de Millau (Aveyron), Odile Baudrier a son avis sur la question : « la notoriété de la discipline a connu un bond et les enjeux financiers sont bien présents autour des grandes courses, davantage par les contrats qu’on peut obtenir avec des équipementiers que par les primes de victoire. Mais aucun cadre rigide n’a encore été fixé autour du trail. C’est comme s’il était resté un sport mineur, malgré l’organisation de championnats du monde. En France, ce n’est pas une priorité pour l’AFLD, surtout pas dans une période pré-olympique ».

Aucun traileur intégré au groupe cible de l’AFLD

Il y a un mois, le site Spe15 a révélé une affaire inattendue, à savoir un contrôle positif à l’EPO de Didier Zago, lors du championnat de France de course de montagne en septembre 2020. L’AFLD, qui avait effectué le prélèvement de ce traileur de 45 ans, nous confirme « qu’une enquête large est depuis en cours », celle-ci impliquant la suspension provisoire de l’athlète pyrénéen. Cinq ans plus tôt, c’est l’ultra-traileur équatorien Gonzalo Calisto, cinquième de l’UTMB, qui était lui aussi contrôlé positif à l’EPO, et donc déclassé et suspendu deux ans. Des cas rarissimes dans le monde du trail, vraiment ?

Même les plus grands spécialistes, qui vivent à 100 % du trail, n’ont toujours pas pu intégrer de groupe cible comme le pilote en France l’AFLD. Près de 300 sportifs tricolores de haut niveau, toutes disciplines confondues, doivent ainsi fournir des données de localisation pour permettre des contrôles hors compétition. Mais même les quatre récents champions du monde français de trail n’ont pas rejoint ce dispositif. C’est pourquoi le manager d’une équipe de trail confie.

En l’absence de suivi longitudinal, on n’a pas à disposition les données médicales suffisantes pour lever certains doutes. Si j’ai le moindre doute sur un athlète, je préfère ne pas l’avoir dans mon groupe. Il arrive d’ailleurs qu’on se prévienne entre managers de différentes équipes pour partager nos interrogations sur des traileurs qu’on estime potentiellement ne pas être cleans. »

« Le dopage n’est pas à ce jour un sujet préoccupant dans le monde du trail, assure tout de même Marie Sammons d’UTMB Group. Nous devons légitimement nous assurer que cela le reste à l’aune d’un sport qui se professionnalise et qui attire de plus en plus d’athlètes de tout horizon. C’est pourquoi on voudrait tendre vers un programme de suivi longitudinal. » Les traileurs élite seraient les premiers soulagés de faire partie d’un groupe cible qui apporterait reconnaissance et crédibilité à leurs performances.

Christophe Bassons, ici sous le maillot de la Francaise des Jeux lors du Tour de France 1999, est devenu une figure majeure de la lutte contre le dopage dans le sport français.
Christophe Bassons, ici sous le maillot de la Francaise des Jeux lors du Tour de France 1999, est devenu une figure majeure de la lutte contre le dopage dans le sport français. – JOEL SAGET / AFP

« La santé publique, l’AMA n’en a rien à faire »

Une évolution qui n’est pas encore à l’ordre du jour. Le 10 septembre 2022, Mark Kangogo a par contre pu remporter le marathon de Jungfrau (Suisse, 1.950 m de D +), où il n’y a pas eu le moindre contrôle antidopage. Et ce, car il a fallu deux mois pour que l’AIU partage les résultats de son test positif à Sierre-Zinal, ça lui a valu par la suite trois ans de suspension. « Le système est trop lent entre le contrôle et les résultats, pointe Valentin Genoud. De même, l’AIU doit à tout prix tenir à jour des listes communes des athlètes suspendus dans le monde entier et se positionner fermement contre le dopage. On ne peut plus fermer les yeux sur cette question. » Malgré la quarantaine de cas de dopage d’athlètes kényans rien que sur la saison passée, l’organisation de Sierre-Zinal assure qu’« il n’y a pas une nation plus dopée qu’une autre ». Douze Kényans devraient ainsi prendre le départ de l’épreuve en Suisse samedi, contre huit l’an passé.

Ancien coureur cycliste professionnel chez Festina lorsque le scandale du dopage a éclaté en 1998, Christophe Bassons est depuis très impliqué dans la lutte antidopage, mais aussi passionné de trail. Celui qui collabore depuis une vingtaine d’années avec l’AFLD met en garde : « Le dopage n’est pas ancré dans le trail comme il l’était à mon époque dans la culture du vélo depuis des décennies, où ça se gavait d’amphétamines. Mais il commence à y être bien présent à tous les niveaux, à cause des réseaux sociaux et du paraître. Quand un traileur amateur participe à une course, ce n’est pas que pour lui mais aussi pour tous les gens qui l’encouragent sur les réseaux. Ce besoin de reconnaissance par des courses peut amener au dopage, et il ne sera jamais contrôlé. Le danger est dans la multiplication des petits produits de médicalisation, qui entraîne un empoisonnement de l’organisme. Mais le seul but de l’AMA (Agence mondiale antidopage) est de chercher à préserver l’équité sportive. La santé publique, elle n’en a rien à faire. »

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